Chroniques d’un confinement
Deuxième confinement, c’est parti : Etienne et Juliette trouvent refuge pour un mois en Ariège, au Mas d’Azil, et plus précisément dans une ferme, à Terr’Azïl !
Nous arrivons dans ce groupe mouvant avec l’envie d’y trouver une petite place, de nous y sentir bien, de faire connaissance avec les unes et les autres, de comprendre les rouages du fonctionnement collectif, entre les instances formelles et ce qui se met en place de manière informelle, et qui se répète fréquemment. La vie aux côtés de ce collectif vient nourrir nos questionnements sur des sujets qui me tiennent à cœur : les dynamiques collectives, la vie avec les enfants, la domination adulte. Dans l’air, il y a comme une envie d’écrire, de garder trace, de rendre visible. Ces questionnements, ces tâtonnements, ces expérimentations. Alors on commence par ces pages pour vous offrir une fenêtre sur le quotidien à Terr’Azil.
Terr’Azil ? Terr’Azil, c’est actuellement trois familles, des très jeunes personnes, d’autres un peu plus âgées, des ami·es et une grand-mère de passage, une famille et ses animaux qui a planté sa yourte ici pour passer l’hiver, des chevaux qui galopent surtout la nuit, des brebis, des chats toujours intéressés par nos assiettes, un dôme géodésique où il fait bien chaud, des yourtes, un atelier-stabulation en cours de rangement, des couchers de soleils qui émerveillent chaque jour et beaucoup de chantiers en cours et à venir.
Terr’Azil, c’est une bâtisse, aux murs épais et aux fenêtres au simple vitrage, qui se révèle bien difficile à chauffer. C’est aussi une cuisine collective, qui vient d’accueillir une belle étagère à épices, fabriquée par R. Ce sont des tapis qui accueillent les jeux des plus jeunes, des légos, des livres, des bouts de pâte à modeler à couper. C’est une grande table qui réunit les unes et les autres par mauvais temps pour une tisane, un crumble ou des lasagnes.
Être de passage à Terr’Azil en novembre 2020, c’est arriver après un conflit, après le départ de l’une des deux familles fondatrices du projet. Il nous semble que le temps est au débrief, au prendre soin, à la réinstitution peu à peu, de temps collectifs. Dans le couloir de la bâtisse, E. inscrit chaque semaine le planning sur le tableau blanc : en rouge les réunions du collectif, en bleu les temps personnels, en vert les temps tribu / partagés, et en noir les temps ouverts sur l’extérieur.
Cette semaine, on y trouvait un temps pour penser le cadre de sécurité : comment à partir de ce qu’il s’est passé cet été, du conflit vécu qui a mené à un départ, on imagine un cadre de vivre ensemble qui soit sécurisant pour tou·tes ? Qu’est-ce qui est important pour chacun·e dans nos manières de relationner, de partager des réunions, d’interagir ? S. et M. préparent une proposition à partir d’une première récolte des besoins.
Et puis ce jeudi, une réunion de gouvernance, issue de l’holacratie et réadaptée à la sauce d’ici, pour déterminer des rôles – Aménagement bâtisse, finances, gestion stock, crowdfunding – et se les partager, en gestion par consentement. Régulièrement ont également lieu des réunions opérationnelles pour traiter les tensions et décider ainsi de comment les traiter. La semaine prochaine, les habitant·es se réuniront pour une plénière : un temps de prises de décisions sur la vie collective, au programme : comment s’occuper des chats et des brebis ?
Etienne – Ce qui me surprend
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Les enfants qui laissent des tartines demi-croquées – plus faim, pas grave
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A., 3 ans, qui sait manier une visseuse
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I., 7 ans, qui demande « Pourquoi les gens qui font la guerre ne se demandent pas, plutôt ? »
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La patience qui me semble infinie de parents qui écoutent vraiment les pleurs des enfants.
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La liberté
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A., qui vient voir N., 2 ans, et lui demande : « Est-ce que tu peux me donner un morceau de ta tartine ou pas ? » – Il dit non – A. n’est pas vexée, elle va jouer – Il la rejoint.
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N. joue avec un couteau – Papa veille au grain.
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A., 3 ans, qui m’apprend à manger des prunelles sur l’arbre – « Ca pique ! J’aime bien ! » Pas moi. Je crache.
L’hiver s’installe, alors nous passons nos journées dans la pièce principale, chauffée par un vieux poêle. Devant moi, quatre adultes discutent d’où les chevaux pâtureront : « Je vous laisse décider de ça, j’ai envie d’aller voir I., ça fait longtemps que je l’ai laissé au Dôme ! » nous annonce M. G. joue avec N. et A. « Je ne sais pas si il est d’accord N. pour que tu en prennes : tu es d’accord N. ? » Sa réponse ne se fait pas attendre : « Non ! ». S. prépare la tisane et R. se réchauffe « Je suis frigorifié ! ». Juliette travaille en haut. Ce soir, on regarde « Vice Versa ». On range les restes du délicieux repas – falafels maisons et gâteau au chocolat.
Je me dis que l’argent, ici, serait plus utile que dans des banques. L’argent servirait à des yourtes plus neuves, mieux isolées, des outils, des poêles plus efficaces, des travaux pour rénover la bâtisse. D’ailleurs, l’association a lancé un appel aux prêts et aux dons : https://www.terrazil.org/participer/
Je me dis que ces enfants ont de la chance. Je me dis que ces personnes sont courageuses.
Des mangues d’Andalousie sont arrivées. Nous salivons tous·tes. M. prépare une mangue pour son fils N., 2 ans, elle-même et I., 7 ans. Elle donne à N. le « hérisson », la mangue retournée et coupée en dés. I. le voit et éclate en sanglot. Il voulait aussi un hérisson, et constate qu’il aura moins de mangue maintenant. Il est en rage contre sa mère qui ne lui a pas demandé s’il voulait aussi un hérisson, je crois qu’il est en rage d’autre chose aussi de sa journée. Sa mère l’écoute, est là, stable, l’écoute encore, essaie de le comprendre, curieuse. Il n’y a pas d’autres mangues. Il veut aller jouer à Minecraft. Elle lui dit qu’elle préfèrerait continuer à l’accueillir dans ses émotions, que ça n’est pas ok pour elle qu’il aille jouer maintenant. Spontanément, il crie : « la prochaine fois je veux que tu me demandes si je veux un hérisson ou pas quand tu prépares une mangue ! ». Elle acquiesce, elle reformule pour être sûre d’avoir bien compris comment elle fera pour la prochaine fois.
Moi, je regarde, admiratif, l’écoute de M., la patience, et la curiosité, et je me dis que je rêve d’un monde où chaque jeune aurait une formation à la parentalité « chouette » d’un mois payée par l’Etat.
Je me rends compte que chaque jour, moi, pour une mangue, une part de gâteau ou un mot de travers, à l’intérieur, je crie, je bouleverse, j’aimerais renverser la table et demander à ce qu’on me prenne dans les bras, j’aimerais bouder, crier. Oui, mais moi je ne le fais pas, parce que je suis un adulte. J’essaie de prendre exemple sur I., sur certaines choses en tout cas.
Juliette – Un mois à Terr’Azil
Juliette, je reprends la plume-clavier. Ce mois-ci, j’ai brossé des chevaux pour la première fois, j’ai lancé un chantier peinture avec l’envie joyeuse de contribuer, organisé une pizza-boum déchainée. J’ai inventé des jeux et des chants, j’ai couru derrière un ballon et j’ai cherché des poêles à bois sur le bon coin. J’ai fait des falafels qu’A. a trouvé « trop bons ». Apprendre à tronçonner, ce sera pour une prochaine fois. J’aime avoir des amis de 30 ans, d’autres de 40, et d’autres de 7. Pour moi, vivre ici pendant un mois, c’est apprendre un petit peu tous les jours en observant ce qui se passe entre les adultes et les enfants, entre les parents et leurs enfants, avec cet espoir que c’est possible de proposer un autre modèle de relation que le modèle dominant « classique », et que j’ai moi-même connu dans mon enfance.
Les membres du collectif me semblent réunis dans ces questionnements autour de l’enfance et prêts à s’engager dans des échanges sur la parentalité, sur leurs difficultés du moment. Ces temps d’échanges sont pour le moment grandement informels, mais je crois que l’aspiration générale est de les multiplier. J’observe, j’échange, je questionne, j’apprends.
Terr’Azïl, pour grandir ensemble naturellement !